Cette série de billets est issue de l’ouvrage encyclopédique du chanoine Médard Barth publié en 1958 « der Rebbau des Elsass » ou « Le vignoble d’Alsace », ouvrage de référence en matière d’Histoire du vin d’Alsace.
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On part toujours du principe que le vin d’Alsace est un vin blanc. Nous avons même l’impression que nous sommes en train de découvrir qu’on peut produire des vins rouges depuis une dizaine d’années, avec quelques cuvées de Pinot Noir qui sont vraiment autre chose que le dilué Pinot Noir qu’on rencontre partout. Aujourd’hui, le cépage à vin rouge représente 10% du vignoble.
Vin Rouge ou Vin Blanc ? (page 81 et +)
Médard Barth rapporte qu’une archive mentionne qu’en 1920, le Bas-Rhin comptait 10 747 hectares de vigne, dont 9496 plantées de cépages à vin blanc. Même si l’on ne dispose pas d’aussi larges statistiques, au Moyen-âge cette répartition n’était pas toujours la même.
Une demande en vin rouge plus forte qu’aujourd’hui
Un inventaire d’un locataire (fermier) à St Léonard (Boersch) de 1680 mentionne 45 Ohm de vin Rouge pour 199 Ohm de vin blanc, soit 22% de rouge. Un autre à Bischoffsheim datant de 1583 signale 365 Ohm de vin blanc pour 65 de vin Rouge soit 18% de rouge. En 1614, l’abbaye de Murbach comptabilisait les rentes en vin de ses allocataires de 35 Foudres, dont plus de 6 Foudres de vin rouge soit 17%.
De nombreuses archives d’ordres religieux remontant jusqu’au 13ème siècle mentionnent des plantations en cépages rouges et surtout des rentes annuelles étaient à payer sous forme de vin rouge. Une archive de la paroisse de Feldkirch près de Wettolsheim dit qu’en 1324, elle dut payer aux propriétaires Augustins une rente de 1 Foudre de vin rouge et 1 Foudre de vin blanc.
Les ordres religieux étant souvent propriétaires terriens et donc aussi de la vigne, les loyers étaient payés en vin, on peut donc s’étonner que les loyers soient payés en Rouge. Mais il faut savoir que le vin rouge était vin de messe (le sang du Christ). En effet Médard Barth ne mentionne pas que le vin rouge était considéré comme plus noble que le vin blanc.
Il précise même que lors de la cérémonie du lavement du Jeudi Saint à Munster, les pauvres recevaient du vin rouge tandis que les nobles buvaient du blanc. Et par ailleurs on se rend compte que lorsque l’auteur parle du vin d’Alsace de prestige et de nobles tablées, il mentionne généralement le vin blanc.
Médard Barth rapporte aussi que les Romains avaient fait planter des cépages à vin rouge, mais que dès le Haut Moyen-Âge, le vin blanc était considéré comme meilleur que le rouge qu’on put produire dans le vignoble alsacien …
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N’oublions pas que l’Histoire n’est pas figée et que le rang et la renommée des produits évolue au fil du temps. On peut se permettre d’imaginer que la noblesse des produits était relative aux possibilités qu’offraient le terrain, au savoir-faire et aux coutumes locales, contrairement à nos jours où la qualité réelle des produits n’a plus de valeur concrète. Autre hypothèse, étant donné que ce sont les Celtes qui ont planté la vigne et les Romains qui ont importé la conduite de vigne permettant de faire du vin de qualité, on peut supposer que les premières plantations se sont faites en rouge avant de se rendre compte que le blanc était plus approprié au terroir (climat surtout).