Cette série de billets est issue de l’ouvrage encyclopédique du chanoine Médard Barth publié en 1958 « der Rebbau des Elsass » ou « Le vignoble d’Alsace », ouvrage de référence en matière d’Histoire du vin d’Alsace.
Variations de l’étendue du vignoble
Comme nous l’avons vu dans les billets précédents, Médard Barth ne se risque pas à estimer la surface du vignoble alsacien avant les Carolingiens.
S’il mentionne la plantation de raisin sous les Romains, il n’est pas possible d’en estimer l’étendue, selon l’auteur. Les mérovingiens n’apportent visiblement pas grand chose à la filière vini-viticole, même si les changements de possessions sont consignées dans les archives des ordres religieux. Il faudra attendre Charlemagne pour en apprendre un peu plus.
Charlemagne lance 3 siècles d’essor du vignoble
Charlemagne n’est pas seulement à l’origine du fameux grand Cru Bourguignon « Corton Charlemagne » mais il aimait le vin et en encourageait toute la filière, de la plantation à la commercialisation. Pour l’Empereur, le vin était un des axes de développement de ses possessions, un liant social et un vrai produit économique (même sanitaire puisque le petit vin était mélangé à l’eau pour la décontaminer).
C’est sous les Carolingiens que le vignoble et le vin connaît un développement décisif. A partir de 751 l’Alsace connut pour deux siècles et demi une période d’essor et de prospérité dans un climat apaisé ; La viticulture fut largement développée.
Durant le haut Moyen-Âge, le vignoble devait ainsi s’étendre sur une très large zone de l’Alsace, qui comprenait l’actuelle aire en AOC le long du piémont, mais aussi les pentes des collines au Nord de l’Alsace allant d’une ligne Wasselonne – Wissembourg, ou encore tout le Sundgau.
160 Villages vignerons en l’an 900.
S’ajoutent à cela les abords des voies romaines (qui sont aujourd’hui encore nos routes principales). La majorité des communes alsaciennes sont citées dans les relevés du chanoine de Boersch, on peut donc deviner une vigne omniprésente. Médard Barth répertorie ainsi 108 villages vignerons en 800, pour atteindre 160 en 900.
Médard Barth ne cite pas de surface, mais nous notons d’un côté un grand nombre de communes viticoles et d’un autre coté une productivité moindre. En tout état de cause, le vin avait visiblement un rôle économique déjà très important, et devait mobiliser beaucoup de main d’œuvre.
Hohenstaufen et Habsbourg dans la continuité
L’anarchie qui suivit la décadence des carolingiens resta relativement pacifique pendant la période des Hohenstaufen et des Habsbourg, jusqu’au début du 14ème siècle. L’auteur n’en parle pas spécifiquement mais ce sont les ordres religieux qui font vraiment vivre le monde du vin.
Du 14ème siècle, déchiré entre peste et guerres, Médard Barth ne semble pas avoir beaucoup à nous apprendre de l’impact sur le vin. Il n’est pas automatique que le vignoble se soit fortement réduit à cette période.
Les archives de l’abbaye de Wissembourg nous ont fournit de précieuses informations sur le monde du vin
Une forte expansion jusqu’au 15ème siècle
En tout cas l’expansion du vignoble reprit sous l’effet du développement économique d’une Alsace réputée bien portante et grâce à des méthodes de production améliorées. Médard Barth estime aux alentours du 15ème siècle une surface viticole supérieure à 30 000 hectares (pour 16 000 aujourd’hui). Le lecteur que je suis place ici le curseur à un « maximum » que je garde en mémoire.
Médard Barth estime une production moyenne de 1 million d’hectolitres, ce qui est équivalent à la production actuelle sur une surface moitié moindre.
16ème – 18ème, guerre de trente ans et contraction du vignoble
Au cours des deux siècles suivants le vignoble alsacien se contractait très nettement, avec la disparition de la viticulture dans les collines douces de l’Alsace du Nord et du Sundgau. Le long du piémont vosgien sur l’actuelle route du vin, la viticulture se maintenait.
Ici, on sait que le vignoble a beaucoup souffert de la guerre de trente ans : vignes abandonnées, dépeuplement de la région, changement de régime …
Ensuite, l’Alsace se repeupla lentement. On remarquera qu’un dépeuplement et un besoin d’immigration s’accompagne d’une perte de compétences. Il fallut réinventer le vignoble, lequel atteint péniblement 12000 hectares durant le 18ème siècle. On exporte largement le bon vin. On devine donc que la surface cultivée devait être tombée bien plus bas au milieu du 17ème.
Après la révolution française, le vignoble connut une expansion vers la plaine. Alors qu’en 1808 on comptait 23 000 hectares de vigne, on en comptait 30 000 hectares en 1828.
De nouveaux cépages arrivèrent, des nouvelles techniques viticoles aussi, et les rendements grimpaient, mais c’est surtout la demande à l’export qui souffrait. Or l’export avait représenté jusque là plus de la moitié du marché du vin d’Alsace. Avec la montée en puissance de la production de bière locale croissante, les débouchés pour le vin d’Alsace allaient diminuant.
Et ici aussi le Phylloxera stoppa tout
Au tournant du 20ème siècle, après être redevenu allemand et après avoir vu mise en oeuvre une politique (allemande) de production intensive de piètre qualité, le vignoble alsacien comptait 27000 hectares. La guerre et le phylloxera eurent raison de cette expansion, et le vignoble alsacien comptait encore 21 hectares en 1920. Autant dire, plus rien !
A la sortie de la guerre, pour compenser un manque de main d’œuvre et une rude concurrence, on laissa le choix de planter des cépages productifs.
Photo Famille Hugel&Fils à Riquewihr
Une renaissance difficile
Seuls quelques fous furieux crurent encore que le vin d’Alsace pouvait être bon et s’exporter, tels les Frédéric-Emile, qu’il soit Hugel ou Trimbach, et quelques autres.
Les autres eux, essayaient de faire renaître à la fois un vignoble mais aussi toute une image qui n’existait pas, tant les autres vignobles français avaient prit de l’avance.
Pendant la deuxième guerre mondiale, on comptait 15600 hectares en 1942, et dans l’après-guerre, les relevés officiels dénombrent en 1948 un petit 9500 hectares de vignes en Alsace, en conséquence avec une pénurie de main d’œuvre.
Par la suite, le vignoble n’a pas retrouvé son étendue de grande forme. Le vin d’Alsace a mit très longtemps à se faire une place parmi les vins Français, etc… mais ça, c’est une autre histoire que nous aborderons une autre fois. D’ailleurs, le livre de Médard Barth est paru en 1958….
Hypothétique évolution de la surface du vignoble Alsacien
J’ai voulu me hasarder à retracer l’évolution de la surface du vignoble alsacien d’après les informations recueillies dans l’ouvrage de Médard Barth.
Evidemment ceci n’est qu’une projection purement hypothétique, qui demande à être complétée et rectifiée. Je me suis basé sur différents éléments :
* Le vin a tenu très tôt un rôle économique fort dans notre économie, et sa valeur ajoutée était forte. On n’a donc jamais hésité à investir de la main d’oeuvre.
* Les sources citant l’exploitation de la vigne sont quand même très nombreuses dès l’apparition des premières communautés chrétiennes.
* Les chiffres bas et haut nous reviennent à plusieurs reprises dans les écrits du chanoine : 12000 hectares comme valeur basse, 30 000 comme valeur haute.
* J’ai placé le curseur en fonction soit des relevés chiffrés, soit en fonction des évènements historiques … fort développement sous les Carolingiens, baisse jusqu’au tournant du sombre 14ème siècle, renaissance du vignoble et développement, puis concurrence externe, changements socio-économiques et enfin maladie de la vigne.
* Avant le 8ème siècle je n’ai aucun repère, même pas une hypothèse d’estimation.
Evidemment certaines données m’ont échappé, et/ou ont échappé à Médard Barth, et d’autres sources permettent d’aller plus loin dans cette hypothèse.
Mais j’attends vos commentaires pour m’aider en ce sens…
Je découvre cette série de billets sur Médard Barth.., passionnant!
Les redondances, littérairement inesthétiques sont souvent bien utiles pour forcer une image mentale sur des sujets aussi ardus, pour des lecteurs qui ne maîtrisent pas ce thème. Une précision importante, car je me considère dans cette catégorie 🙂
La vigne a énormément rythmé la vie de nos aïeux, c’est réellement un aspect majeur de notre histoire qu’il serait dommage d’ignorer. 🙂
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